jeudi 2 juin 2011

Photo : En Atelier 1 - Janvier 2012

"D'un côté, il y a les maisons et, derrière les grandes fenêtres du rez-de-chaussée qui ressemblent à des vitrines de magasin, on aperçoit les minuscules chambrettes de putains. Elles sont en sous-vêtements, assise contre la vitre, dans de petits fauteuils agrémentés d'oreillers. Elles ont l'air de gros matous qui s'ennuient.
L'autre côté de la rue est occupé par une gigantesque église gothique du XIVe.
Entre le monde des putes et le monde de Dieu, comme un fleuve séparant deux royaumes s'étend une âcre odeur d'urine.
A l'intérieur, il ne reste que l'ancien style gothique que les hauts murs nus, les colonnes, la voûte et les fenêtres. il n'y a aucun tableau, il n'y a des statues nulle part. l'église est vide comme une salle de gymnastique. Tout ce qu'on y voit ce sont des rangées de chaises qui forment au centre un grand carré autours d'une estrade miniature sur laquelle se dresse la petite table du prédicateur. Derrière les chaises il y a des boxes en bois; ce sont les loges destinées aux familles de riches citadins.
Les chaises et les loges sont placées là sans moindre égard pour la configuration des murs et la disposition des colonnes, comme pour signifier à l'architecture gothique leur indifférence et leur dédain. Il y a maintenant des siècles que la foi calviniste a fait de l'église un simple hangar qui n'a d'autre fonction de protéger la prière des fidèles de la neige et de la pluie.
"

Milan Kundera- "L'insoutenable légèreté de l'être"